Pavillon d'extravagances chez un mec hors-dinaire

avril 03, 2007
Le Woodstock des écrits-vains Marocains
Le poisson est mort Dimanche...
Dris Chraïbi restera un des pionniers de la scène littéraire maghrébine et c'est grâce à lui (entre autres), que les livres aujourd'hui ne sont pas (que) des écrits vains.
Liberté d'expression, musiques populaires et cheikhatisme, fumées de joints, plumes, inspiration, HII, la marche verte, sahara, l'autre rive, oppression, chapitres... tous des éléments qui ont servi à cette époque "Woodstock littéraire" d'être le tremplin pour écrire ensemble l'hymne de la liberté et le chant de la révolution.
Sa présence était presque indispensable. Maintenant il n'est plus... c'est un arrêt... une fin.
Driss Chraïbi n'a pas voulu qu'on lui rende hommage le 10 Avril (grand prix de la nouvelle). Il a préféré voyager avant. L'oiseau était tellement généreux et altruiste que cela devenait contagieux, la preuve je partage avec vous un beau texte de Driss rédigé en Avril 1999 où il rend hommage à Fouad Laroui, à cette belle époque et bien plus encore.

Spéciale dédicace aux moins de 20 ans que j'invite à lire entre les lignes.

"Méfiez-vous de Fouad Laroui" par : D.C
L'individu écrasé par la loi du groupe, est-ce une spécificité marocaine ?

Novembre 1997. Casablanca. Ma tournée au pays natal était enivrante, enivrante et épuisante. J'ai pris quelques jours de repos, afin d'écouter mes os. L'ami Abdelkader Retnani nous a reçus royalement chez lui, mon fils Yassin et moi. Retnani est mon éditeur marocain. Non, il n'a pas abordé la délicate question des droits d'auteur. Sa table valait tout l'argent du monde... Et puis, un matin, j'ai été réveillé en sursaut par des éclats de rire. C'était Yassin qui venait d'ouvrir Les Dents du topographe, d'un certain Fouad Laroui.
Il hoquetait littéralement de rire, se tapait sur les cuisses. « Non, mais il est dingue ce type, c'est pas possible... » Il en pleurait. « Ecoute-moi ça... » Il avait 16 ans, alors, je me suis dit : « Le livre est bon. »
Ce n'est que le lendemain que j'ai pu m'en repaître à mon tour. Il m'a rajeuni. Je pensais à Jorge Luis Borges, à Une enquête au pays, à Erskine Caldwell, à Nous, les vivants. J'étais heureux, rassuré quant à l'avenir de cette littérature dite « maghrébine d'expression française ». Je venais de découvrir un écrivain tout court, sans étiquette de produit de marché. Il avait du recul par rapport à son monde d'origine, par rapport à lui-même surtout. Il ne se prenait pas au sérieux. Il n'écrivait pas pour « l'écrivanité ». Il amenait le lecteur à se poser des questions - et singulièrement le lecteur occidental à tordre le cou à ses chers fantasmes et, par voie de conséquence, à ceux qui les véhiculaient. L'humour était souverain, les dialogues comme enregistrés par un micro-trottoir, les personnages campés d'après nature, ou presque. Je retrouvais le Maroc tel qu'en lui-même, enfin...
En quarante-cinq ans de carrière et de pérégrinations de par le vaste monde, seuls Mohamed Choukri et Manuel Vázquez Montalbán m'ont enchanté. Ils ne m'ont pas parlé boutique. J'ai beaucoup appris auprès d'eux. J'avais envie de voir ce Fouad Laroui en chair et en os. Il a débarqué chez moi le 21 novembre 1998, aussi guilleret que le ciel de la Drôme. Il m'a donné du « cher maître », « Usted », « professeur », eu égard à mon âge, sans doute. L'accompagnaient Hamid Barrada (de Jeune Afrique) et une toute jeune blonde qu'il prenait un plaisir à faire passer pour sa fille, née d'une ancienne union avec une Hollandaise. Il surveillait son maintien à table, l'empêchait de boire. « Une gorgée, ma fille », disait-il - et elle obtempérait, ravie d'entrer dans son jeu. Qui était dupe ? Barrada. Allons, ami Hamid, réveille-toi. C'est son amie. N'as-tu pas remarqué comme elle baissait les yeux en rencontrant les miens, en fille soumise et obéissante en présence du Marocain macho que Fouad Laroui prétendait être ? Je sortais de temps en temps dans le couloir afin de soulager mon hilarité. Le nec plus ultra de l'histoire, c'était son air sérieux, avec cette nudité du regard qui est un privilège de l'enfance. Bref, il ressemblait trait pour trait à son oeuvre, très à l'aise et mal à l'aise à la fois en cette fin de siècle, loin du terroir natal qu'il chérissait plus que tout, avec cette distanciation qu'impose un vrai talent littéraire.
Je viens de refermer Méfiez-vous des parachutistes. Lisant ce roman, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à un autre livre, Un diable au paradis, du regretté Henry Miller. Voilà Miller bien heureux, bien libre, à Big Sur, un coin édénique des États-Unis. Et puis survient un Français esthète, raffiné, cultivé, maniaque. En très peu de temps, l'individu nommé Henry Miller n'a plus été chez lui, n'a plus existé. Si j'établis ce parallèle, c'est pour poser une petite question à Fouad Laroui (je la lui ai posée, d'ailleurs). L'individu écrasé par la loi du groupe, est-ce une spécificité marocaine, voire arabo-musulmane ? Est-ce qu'elle n'existe pas sous d'autres cieux, déguisée et habillée par la démocratie ? Je pèse mes mots : tu es un écrivain génial, Fouad, c'est-à-dire libre. Tu possèdes une technique à toute épreuve : partir de personnages très ordinaires et d'une situation très simple pour aboutir à l'absurde. C'est cela qui fait la valeur de ton humour ouvert et lucide. À présent que ta trilogie maghrébine est terminée, emploie donc cette même technique ailleurs, à commencer par cette Europe où la destinée a conduit un jour tes pas...
posted by O.B @ 12:41 AM  
2 Comments:
  • At 16:54, Anonymous Anonyme said…

    Heureux qu'un jeune rende hommage à un écrivain de la génération des annéees 50.

    "Le passé simple" pourrait être réécrit maintenant et avec juste quelques réaménagements historiques être tout à fait crédible!

     
  • At 09:31, Anonymous Anonyme said…

    Voilà pourquoi j'aime bien Driss chraibi. Une franchise décapante!!!!! J'ai adoré le passage sur Hamid Berrada et son amie. Chraibi est tout simplement génial.

     
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